XIXe siècle
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L’auteur de cet ouvrage, sans négliger totalement les rapports bilatéraux, étudie surtout, en utilisant la presse, les documents diplomatiques et les récits de voyages, les regards réciproques que les deux pays portent l’un sur l’autre.
La Suisse ne s’intéresse au Portugal que lorsque s’y produisent des événements majeurs: l’Ultimatum anglais de 1890, l’assassinat du roi Carlos en 1908, la révolution républicaine de 1910, l’entrée du Portugal dans la Grande Guerre en 1916, le coup d’État militaire de 1926 et la révolte de février 1927.
Les Portugais admirent la Suisse pour son organisation politique, l’efficacité de son système scolaire et le civisme de ses habitants.
Ce «modèle» suisse ne peut pas être exporté vers le Portugal, car il y a trop d’écart entre le deux pays. L’élite portugaise subit cependant l’influence des pédagogues suisses notamment celle d’Édouard Claparède et d’Adolphe Ferrière.
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L’organisation des chemins de fer en France sous la IIIe République constitue une expérience originale d’économie mixte qu’illustrent les relations entre l’Etat et les grandes compagnies de chemins de fer créées au milieu du XIXe siècle. Les études financières anciennes du Crédit lyonnais, que présente François Caron, retracent l’histoire contrastée de chacune de ces compagnies et l’évolution complexe du régime des chemins de fer jusqu’à la création de la SNCF en 1937.
Y est mis en évidence le rôle majeur, mais très particulier dans l’histoire de l’épargne française, des obligations de chemin de fer, qui ont dominé les émissions de valeurs à revenu fixe jusqu’en 1900. Une réflexion originale est proposée, qui traite des aspects économiques de la grande dépression et de l’influence des stratégies commerciales des compagnies sur l’évolution de l’économie française dans les années 1870-1900. Des explications sont fournies sur la crise financière subie par les compagnies à partir de 1900, qui se traduit, dans un contexte de hausse de la Bourse, par la chute de leurs cours ; dans les années 1920 et 1930, un examen lucide et critique est posé sur la tentative de sauvetage du système à travers la convention de 1921 et sur les incohérences de son application. Ces études ainsi mises en perspective constituent autant d’illustrations du débat toujours actuel sur le rôle de l’Etat et du Marché.
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C’est en particulier à Charles Nodier que le terme même de linguistique doit sa fortune, dès la première moitié du XIXe siècle. D’une série d’articles de presse, l’auteur alors quinquagénaire a fait un ouvrage où il exposait – sur l’origine des langues, l’alphabet, l’étymologie, la néologie, les patois ou l’onomastique – des vues qui étaient déjà les siennes quelque trente ans auparavant. Au Nodier conteur, pétri de lexiques et pénétré de sa langue maternelle, on doit donc ce supplément cursif et didactique au Dictionnaire des onomatopées de 1808, qui expose mieux encore que ses essais critiques une conception originale de la poésie et, plus largement, de la littérature. Relatée avec autant de brio que de mordant, l’Histoire abrégée de la parole et de l’écriture peut également se lire comme une diatribe cinglante contre les aléas subis, jusqu’à nos jours, par l’orthographe française et les sciences du langage ; car à son analyse Nodier donne volontiers une extension aussi bien rétrospective que prospective.
L’édition minutieusement annotée de ce texte est assortie de plusieurs autres écrits linguistiques du dériseur sensé : témoignant de son érudite alacrité comme de ses convictions inébranlables, ils montrent ce philologue cratylien, cet académicien caustique et insoucieux des recherches scientifiques de l’époque, sous un jour qui n’a rien perdu de son éclat.
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Le deuxième volume de la Correspondance complète de Rodolphe Töpffer reproduit les lettres écrites ou reçues par lui entre son retour à Genève en juillet 1820, au terme d’un long séjour à Paris, et sa nomination le 17 octobre 1832 comme professeur de rhétorique à l’Académie de Genève.
Au cours de ces douze années de nombreux événements surviendront qui seront décisifs pour son avenir et sa réputation. Après avoir perfectionné sa connaissance des langues anciennes, il sera engagé en qualité de sous-maître dans le pensionnat du pasteur Jean Heyer, et, tout en surveillant ses élèves, il enverra à sa fiancée Kity Moulinié d’extraordinaires missives, rédigées dans des styles divers, destinées à engager celle-ci à l’aimer et à l’épouser. Le mariage conclu en novembre 1823, Rodolphe se brouille avec le pasteur Heyer, et, l’année suivante, ouvre son propre pensionnat sur la promenade Saint-Antoine.
Pour établir sa réputation d’instituteur sérieux, il édite avec un ami les Harangues politiques de Démosthène. Ce qui ne l’empêche pas de composer pour le cercle de ses élèves et de leurs parents les Albums en estampes (les histoires de MM. Jabot, Festus, Crépin, Cryptogame), les récits des Voyages annuels du pensionnat ainsi que des pièces de théâtre, de rédiger la critique des expositions de peinture ouvertes à Genève et d’écrire sa première nouvelle, la Bibliothèque de mon oncle.
Töpffer enverra Cryptogame et Festus à son ami Frédéric Soret de Weimar, qui les soumettra à Goethe quelques semaines avant sa mort. Et c’est l’appréciation admirative de Goethe qui encouragera Rodolphe à les publier enfin.
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" Le monstre n’existe plus " déclare Huysmans en 1889 à la suite des Goncourt. La Décadence, en cherchant à affiner l’intellection de la monstruosité et, d’emblée, se définir, ravive un vieux débat qui avait déjà secoué la littérature, l’art et l’esthétique. Ce livre, issu d’une thèse de doctorat soutenue en Sorbonne en 1993 (prix Marie-Louise Arconati-Visconti, 1994), étudie les monstres mythologiques et féminins ainsi que les phénomènes de foire. Il analyse les rapports qu’entretiennent l’art et la nature et il évalue l’influence du darwinisme et de l’embryologie sur un imaginaire singulièrement organique, lié au sentiment de dégénérescence et de déclin. Il montre surtout que la genèse des monstres, présentée par Vladimir Jankélévitch comme une définition de la Décadence, trouve une application dans le langage et installe l’hybridation dans la création. Pour la Décadence, créer le monstre revient à œuvrer contre un monde divinement conçu, à lier jusqu’à la confusion création artistique et procréation et à doter la langue d’un corps. Analyse de mythes réécrits, de thèmes et de motifs revisités, Le Monstre, le singe et le fœtus donne une interprétation du climat décadent et de certains de ses fantasmes. Il s’appuie sur quelque mille cinq cents textes et images, cueillis dans la littérature et l’art de l’Europe occidentale.
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Quêtes entravées d’un objet d’amour fuyant, déni du statut sacré attribué au poète, refus de la modernité sociale: à différents niveaux, l’expérience du deuil traverse et oriente la démarche littéraire de Gérard de Nerval. Une poétique du deuil à l’âge romantique expose comment thèmes et formes de l’œuvre répondent à la question centrale de la finitude. Hanté par une perte indéfinie, l’écrivain procède par deux voies apparemment opposées: la première, fondée sur le langage poétique, entend compenser la privation éprouvée en donnant figure – dans le discours versifié – à un subtil jeu d’inflexions vocales; la seconde en revanche se déploie à travers les récits et les nouvelles qui, tout en faisant état de pertes symboliquement irréductibles, sont appelés à conférer une forme poétique plus libre à la prose. Associant lecture thématique, approche psychocritique et poétique historique, Dagmar Wieser montre comment l’œuvre nervalienne devient l’expression fertile d’un conflit d’intentions. C’est la dialectique entre l’aveu et le déni d’un deuil subi dès l’enfance qui octroie au processus de la création tout son dynamisme.
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